Alan Wake, successeur virtuel de Twin Peaks

Avec la sortie de Twin Peaks dans quelques jours, voici un petit rappel sur un jeu vidéo sorti il y a quelques années que l’on pourrait qualifier de digne héritier de l’univers « Lynchien ».
Afin d’éviter un énième review des mécaniques de gameplay, nous avons préféré mettre en lumière quelques unes des similitudes assumées par les développeurs.

Une bonne tasse de café

Le jeu Alan Wake, développé et présenté par les studios finlandais Remedy Entertainment comme « un thriller d’action psychologique », est sorti en mai 2010 en exclusivité sur Xbox 360, puis en 2012 sur PC.

Il est question ici de suivre dans une vue à la troisième personne un écrivain qui se rend dans la ville imaginaire de Bright Falls avec sa femme (en Oregon). L’approche des développeurs tend vers une structure proche d’une série tv, avec les aventures d’Alan Wake s’étalant sur six épisodes sur le jeu final, puis deux autres supplémentaires en contenu téléchargeable.

La plupart des lieux sont directement inspirés de la série Twin Peaks comme la cafétéria (« diner ») qui fut celle utilisée dans la série de David Lynch et où il rencontrera un personnage important de l’histoire prénommé « La Femme à la Lampe« , inspiration directe à la « Femme à la Bûche » de la série de David Lynch.

Lamp Lady in Alan Wake - Log Lady in Twin Peaks

Les développeurs ont également ajouté comme mécanique de collection à travers le jeu de retrouver des thermos de café disséminés dans tous les lieux. La récompense pour le joueur est de débloquer le trophée « Damn good cup of coffee » s’il en trouve vingt-cinq ; on retrouve ici une référence directe à Twin Peaks avec cette citation inspirée de la phrase « Damn fine cup of coffee » répétée par le détective Cooper dans la série.
Plus loin dans le jeu, Alan Wake se retrouve dans l’hôtel Cauldron Lake Lodge qui fait penser par son nom au Black Lodge de Lynch. Des références à d’autres œuvres sont omniprésentes, ne serait-ce que par le sujet abordé (un écrivain en proie à ses peurs ou un environnement hostile) comme dans les romans/films que sont Shining, l’Antre de la Folie ou Shutter Island.

La présence d’une série tv fictive du nom de Night Springs que le joueur pourra visionner sur les écrans de tv (avec de vrais acteurs) dans le jeu fait aussi écho à la série La Quatrième Dimension et servira également de passerelle intertextuelle pour les jeux du studio Remedy sortis par la suite (Alan Wake: American Nightmare, Quantum Break).

Alan Wake - Night Springs

On peut également souligner que l’utilisation de vidéos avec des acteurs « Live » dans un jeu vidéo permet au joueur de transposer l’histoire et ses personnages dans le réel. Ainsi, comme le cite Etienne Pérény dans l’article de l’ouvrage « Les jeux vidéo au croisement du social, de l’art et de la culture » , le jeu Alan Wake enlève cette distance habituellement présente entre le joueur et son avatar:

« …apparaît l’avatar qui nous fait exister de l’autre côté de l’écran. L’effectuation, notion assez simple, presque mécanique, mute avec l’intégration de la finalité ludique. Chaque acte, de part et d’autre, nourrit un processus d’instanciation par lequel s’actualisent et surtout se matérialisent iconiquement des attributs du sujet humain (audiovision, incarnation, manipulation, etc.) tandis que s’expriment les potentialités du dispositif technique (intentionnalité, immersivité, opérabilité, etc.). »

Avec cette intertextualité omniprésente, le doute n’est plus permis pour le joueur.

Pour enfoncer le clou, les développeurs se sont inspirés des techniques de réalisation des séries TV. Ils mettent en scène chaque épisode comme le serait une série tv, avec une introduction, un générique de début et de fin, des cinématiques à la réalisation léchée et le spectateur/joueur sait tout de suite où il met les pieds. Ainsi, la première scène fait clairement penser à un film avec un générique de début et un long plan séquence et permet au joueur de se préparer à la partie où il devra interagir avec le personnage.

Comme l’explique Elsa Boyer dans le livre « Voir les jeux vidéo, Perception, construction, fiction » , et comme l’avait souligné Roger Caillois :

« le jeu consiste dans la nécessité de trouver, d’inventer immédiatement une réponse qui est libre dans les limites des règles. Cette latitude du joueur, cette marge accordée à son action est essentielle au jeu et explique en partie le plaisir qu’il suscite »

Il faut noter également qu’Alan Wake a bénéficié d’une campagne publicitaire transmédia, puis plusieurs mois avant sa sortie une série tv sur la ville imaginaire de Bright Falls a été diffusée en exclusivité sur le site xbox.com et en streaming sur le Xbox Live (réseau propriétaire des consoles Microsoft Xbox) mettant en scène les aventures de personnes sensées se dérouler avant les évènements du jeu .
Chaque diffusion des épisodes était suivie de discussions des fans sur des forums et sites communautaires et des rappels sur leur compte Facebook les incitant à regarder les prochains épisodes (les spectateurs ayant eu le choix de renseigner ou pas leur compte Facebook dans le processus d’inscription au site de Microsoft). Les développeurs ont également diffusé sur internet de fausses émissions de télévisions inspirées de shows américains célèbres et mettant en scène le personnage d’Alan Wake (en fait l’acteur qui a servi de modèle à l’avatar numérique).

Welcome to Bright Falls

 

Nos références:

  • Les jeux vidéo au croisement du social, de l’art et de la culture, Etienne Pérény
  • Voir les jeux vidéo, perception, construction, fiction, Elsa Boyer.
  • Les jeux et les hommes, le masque et le vertige, Roger Caillois
  • http://brightfalls.com